Chronique  Politique

Austérité : le poids des mots

Depuis des mois, l’opposition péquiste, les syndicats, les organismes sociaux, dénoncent les politiques d’austérité du gouvernement libéral. Mais le premier ministre Philippe Couillard, encore dans son bilan de fin de session, refuse cette étiquette. « Il n’y a pas d’austérité, dit-il. C’est une vue de l’esprit. » Il décrit plutôt sa démarche comme celle de la « rigueur budgétaire ».

Qui dit vrai ? Cette question ne peut hélas pas être tranchée par les économistes. Ils ne peuvent pas, avec leurs définitions, leurs statistiques et leurs tableaux nous dire si le Québec vit à l’heure de l’austérité ou plutôt à celle de la rigueur. Parce qu’en fait, il ne s’agit pas d’un débat économique, mais plutôt d’une chicane sémantique.

Il n’y a pas de définition formelle de l’austérité comme pour la récession ou l’inflation. J’ai passé en revue ce qui s’écrit sur la question – articles économiques, documents d’organismes internationaux, comme le FMI – pour constater que les deux termes sont utilisés indifféremment et sont même interchangeables. Le Wikipédia français, par exemple, pour « austérité », renvoie à « politique de rigueur ».

De façon générale, la définition de l’austérité budgétaire est très large, par exemple celle du Financial Times : « Les mesures d’austérité décrivent des actions officielles prises par le gouvernement pendant une période économique difficile pour réduire son déficit budgétaire avec une combinaison de compressions de dépenses et d’augmentations d’impôt. »

Dans cette logique, les politiques du gouvernement Couillard, qui s’attaquent au déficit par des coupes de dépenses et une augmentation des revenus, s’inscrivent clairement dans des politiques d’austérité.

Si M. Couillard refuse l’étiquette, c’est que, selon lui, « l’austérité, c’est diminuer les dépenses de l’État ». Il est vrai, qu’au Québec, malgré la sévérité des mesures, les dépenses du gouvernement ne baissent pas, elles ne font qu’augmenter moins rapidement, à un rythme de 2,1 % cette année et à 0,7 % l’an prochain, plutôt que les 3 % ou 4 % habituels.

Ce n’est toutefois pas la définition habituelle. Par exemple, Christine Lagarde, directrice générale du Fonds monétaire international, pour qui « il n’y a pas d’alternative à l’austérité », lui donne un sens plus général et plus neutre, pour décrire les politiques de réduction du déficit et de la dette. Dans le contexte actuel d’après-crise, que ce soit au Québec ou ailleurs, le débat ne consiste pas à savoir s’il y a ou non de l’austérité, mais s’il y en a trop ou pas assez.

Mais il faut aussi tenir compte du fait que, dans le langage usuel, et donc dans le débat politique, les mots austérité et rigueur n’ont pas le même poids. Rigueur fait référence au sérieux, à la discipline, tandis qu’austérité fait référence au dépouillement, à l’abstinence, au sacrifice. Un gouvernement devrait toujours faire preuve de rigueur, tandis que les périodes d’austérité sont exceptionnelles.

On peut donc comprendre qu’un gouvernement veuille éviter le terme. Le mot austérité est plus fort, il peut même prendre une dimension péjorative et sera donc davantage utilisé par ses opposants. C’est ce qui se passe. Cette tendance est certainement renforcée au Québec par l’influence, surtout auprès de la gauche québécoise, des débats intellectuels et politiques français où l’opposition à la rigueur budgétaire est une sorte de trait culturel, avec les résultats que l’on sait sur la déliquescence économique et sociale de ce pays.

On peut aussi comprendre pourquoi, au-delà du poids du mot, les mouvements d’opposition tiennent à parler d’austérité. D’abord, parce qu’il serait difficile de dénoncer la rigueur, une valeur positive. Et surtout parce qu’en insistant sur l’austérité, ils peuvent faire porter le débat sur les effets des mesures de rigueur, sur leurs inconvénients, leurs victimes, ce qui permet commodément de passer sous silence les raisons qui justifient l’austérité et les conséquences de ne pas agir.

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